2 septembre 2012 7 02 /09 /septembre /2012 21:06

Récit       Terradillas de los Templarios – Sahagùn

Texte sonorisé  14 km 

 

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    Ailleurs, à Sahagùn         Ph. J F F

 

 

Vers l'est, les villages sont nimbés de la lumière du soleil levé. Image pieuse.

 

Alors cette sainteté comment la voir ? comment s'en approcher ? Un pratiquant est-il plus proche de la sainteté, un pratiquant comme Romano, par exemple ? A propos, je ne l'ai pas revu. Vite l'esprit remet la vérité en place : un saint n'est pas forcément un pratiquant.

 

Un peu partout des pèlerins en chemin, devant, derrière. Et sur le côté, ceux qui préfèrent longer la nationale.

 

Pas la peine de la jouer modeste, quand depuis plusieurs semaines on parcourt vingt-cinq à quarante kilomètres chaque jour, quatorze, c'est une promenade. La marche est courte ce matin, le troisième tronçon s'achève. Il s'agit de prendre à Sahagùn le train de retour après 557 km cette année.

 

Justement on y arrive, à Sahagùn, la ville où triomphe l'art mudéjar. Le village s'est agrandi autour d'un monastère puissant et Francs, Juifs et Maures se côtoyaient dans leurs affaires... San Facundo s'est déformé en Sahagùn, un nom plein de mystère et enchanteur. A l'inverse du  mozarabe, le mudéjar est ce style des musulmans sous domination chrétienne.  Eglises et palais de brique, arcatures aveugles...

 

Billet et horaires de train en poche, j'entre à l'église San Lorenzo, j'ai tout mon temps jusqu'au début de l'après-midi. Beaucoup de monde à l'intérieur, attendant le début de la messe. Les murs sont enduits et peints en blanc et jaune. Entre les piliers, des retables dorés, des statues. Justement on dirait un St Jacques  là-bas sur la droite. En s'approchant, on reconnaît plutôt St Roch, en tenue de pèlerin qui n'est jamais arrivé, bubon de peste à la cuisse, chien au pied.

 

Retour au fond de l'église. A ce moment-là, dans l'assistance, quelqu'un me fait un grand signe. C'est Romano !

 

Il vient me rejoindre près des portes :

- La messe va commencer, il y a une place de mon côté !Tu pourras t'asseoir !

- Pas le temps, menté-je, je dois partir. Je rentre aujourd'hui. Mais donne-moi ton adresse, je t'enverrai ta photo sous la pluie.

 

Un quart de seconde, déception sur son visage. Puis, l'adresse marquée dans le carnet de notes, de ses deux mains il prend chaleureusement la mienne :

- Bon retour  !!

Il ira jusqu'au bout du chemin, d'un trait. Mon souhait a de la difficulté à sortir de ma gorge :

- Bon chemin, Romano !

 

L'église bourdonne, elle est pleine à craquer, maintenant. A peine sorti, je regrette mon refus de prier avec tous ces gens.

 

Cesser de dire non à tout instant... Qu'importe, si tu n'es pas d'accord sur tout ! Prier, si possible, c'est prier ensemble, surtout un dimanche de Pentecôte,

 


le jour des langues étrangères...

 

 

 

 

 


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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 11:56

Récit             De Sahagùn à Sahagùn      Patience et Sérénité

Texte sonorisé

 

060 SAHAGUN la gare GROS PLAN

Un peu comme Xanadu        Ph.  J F F

                 

 Quatorze mois d'attente séparent Sahagùn de Sahagùn.

 

Une attente plus sereine que dans les intermèdes          pré-

cédents.

 

Il y a cette quasi-certitude d'y arriver. Cette conviction qu'il sera facile de s'arracher encore à la vie ordinaire, et qu'une fois sur le chemin, les chances sont grandes, enfin, d'entendre les clochers de Santiago et de sentir les embruns de l'Atlantique.

 

Un peu de fierté aussi d'avoir déjà parcouru autant de pas...

S'ajoute la joie de retrouver le chemin et de rencontrer d'autres "insensés" qui l'arpentent.

 

P1010366.JPG

Travailler et attendre Ph. J F F

 

La nouveauté c'est qu'il y aura dans mon sac un petit quelque chose de plus, un message pour un lieu bien connu des pèlerins de Compostelle. Tu verras, c'est un lieu emblématique.

 

060-SAHAGUN-la-gare-redressee2.jpg

Comme un Palais d'été  Ph. J F F


Une inconnue toutefois : la Meseta en plein été.

 

La fournaise, vraiment  ?

 

 

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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 21:15

Récit   Sahagùn – Calzadilla de los Hermanillos

            13 km

 

 FUENTE-DEL-PEREGRINO-ABRI-bis.jpg

L'oasis de la fontaine    Photo J F F

 

- Como la piel de la cara ?    (comme la peau du visage ?)

 

Ana, la coiffeuse, a peur de mal me comprendre et se touche le visage pour m'avertir. Oui, oui, je confirme, c'est bien à zéro que je veux la boule.

 

En cinq minutes, c'est chose faite. Après les salutations et les remerciements d'usage, je me retrouve avec la sensation nouvelle d'une tête nue, dans les rues de Sahagùn. Pourquoi ? C'est comme ça. En réalité, ce n'est pas un caprice ou une fantaisie. Je veux me donner à nouveau un signe. Si le cheminement est un moyen de se changer, si je peux le terminer et devenir un homme nouveau, autant y mettre les moyens. Comme par l'esprit, par le corps. Marcher longtemps, mais aussi se raser complètement. Comme un vœu, si tu veux !

 

La nuit en train-couchette s'était passée en un rien de temps. Le tortillard d'Irun à Sahagùn, au contraire, m'avait paru interminable, à remonter péniblement les vallées vers les plateaux dans un temps maussade. A l'arrivée, les nuages étaient partis. Les conditions sont idéales : ciel d'azur, vent léger.

 

Le pèlerin a le choix entre le Camino Real, continuation de la Via Regia, et la Chaussée Romaine, plus au nord. J'ai envie de voir la Fontaine du Pèlerin, et, demain, le torrent qu'il faut passer à gué. Il y a quelques années une pèlerine y a vécu un moment extraordinaire en compagnie d'un pèlerin qui risquait la noyade s'il ne faisait pas attention.

 

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La fontaine de l'oasis     Photo J F F


J'opte donc pour la Voie antique. A peine plus de relief qu'avant. La campagne est ... rase aussi ! On a beau être en plein été, les fleurs ne manquent pas au bord du chemin : la chicorée aux étoiles bleu clair, les liserons, petits, à ras de terre, et les berces avec leurs ombelles blanches.

 

Au refuge de Calzadilla, il n'y a personne à l'accueil. Seul un Homme du Sud-Ouest de la France prend des notes.

 

- Vous vous installez où vous voulez, me conseille-t-il.

 

Dîner au restaurant d'en face, avec lui et Elisabeth, une jolie fille d'Albuquerque, au Nouveau-Mexique.

 

- Et toi, me demande-t-elle, pourquoi fais-tu le chemin ?

 

On voit qu'Elisabeth n'en est qu'à ses débuts. Il y a trois ans je posais la même question. A éviter. En tout cas de cette façon. Le risque est trop grand de déchirer un voile sur des histoires terribles de souffrances, de maladies, de morts. Elle a de la chance, ce n'est pas le cas pour moi , quoique...

 

L'Homme du Sud-Ouest, lui, a eu une bonne idée. Il a emporté des dizaines et des dizaines de sentences de sagesse. Il en lit une chaque matin, qui sert de base à ses méditations de la journée.

 

Je n'ai pas de maxime, mais tôt demain matin je trouverai par hasard

 

de quoi méditer.

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 23:57

 

Récit             Calzadilla de los Terradillos - Mansilla de las

                       Mulas - Leon

Texte  sonorisé             33 km environ... à vérifier 

 

CALZAD DL HERMAN LIVRE D OR 2 BIS

      "Dans la fatigue et la solitude le divin ça sort des hommes." L-F Céline.      Photo J F F 

 

Comment peut-on dessiner aussi bien ? En attendant que le jour se lève, je découvre dans le Livre d'Or ce croquis d'un pèlerin. Pesanteur, lassitude, immobilité dans le repos. La même impression que j'aurai dans quelques jours, face à mes quatre amis cyclistes. Dans ces traits de stylo il y a aussi quelque chose d'inquiétant. Comment sera cette journée ?

 

Départ à l'aube, portable éteint. Agréable d'avoir la tête nue dans l'air frais du petit matin. Parti sans heure, et sans cheveux.

 

Le terrain est toujours plat sans être ennuyeux. Hier je te parlais de ce torrent à traverser à gué, comme au bon vieux temps. Il y avait si peu de ponts, jadis ! Beaucoup mouraient noyés, ou escroqués par les passeurs malveillants. Déception : un pont a été jeté sur l'Arroyo Valdearcos. A un moment le chemin longe la voie ferrée. Un train vient d'en face. Le cheminot, à grands coups de trompe, salue les pèlerins !

 

Pose tapas et verre de blanc doré à Mansilla de las Mulas, la petite ville typique où il ferait bon rester.

 

Repartir, quitter l'ombre. Il fait chaud, très chaud, même. Sieste après le casse-croûte, sous un tremble, près d'un champ de maïs. Tant de chaleur !

 

Plus loin, le terrain remonte un peu jusqu'à Arcahuela et offre de belles vues sur le but de la journée, la ville de Leon. Il y a des fontaines ici et là. Entrée dans la capitale de la sous-province de Castilla y Leon.

 

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Le Couvent aux moucharabiehs   Photo J F F


Installation au Couvent des Bénédictines, là où mon amie Martine, il y a une dizaine d'années, a eu la faveur de contempler un tableau attribué à un grand peintre espagnol. Un calme trop serein règne dans le dortoir immense. Les Bénédictines proposent une... bénédiction après l'heure du  dîner. Pourquoi pas ?

 

Je retourne dans le cœur historique, et me régale d'une spécialité : la morcilla, un bonheur de boudin local, arrosé d'un Pardevales rouge rubis excellent.

 

Mais ne buvons pas trop de vin. C'est l'heure de rentrer et d'écouter la bonne sœur chargée de l'accueil pèlerin. Dans l'antichambre de la chapelle, elle nous prépare à la cérémonie :

 

- Vous faites des efforts chaque jour pour méditer en marchant, pour admirer, en contact avec la nature, les oeuvres de Dieu... Vous contemplez  les constructions des hommes... vous vivez pleinement ce chemin de bienveillance et de paix...

 

Je m'assieds par terre, j'ai avalé pas mal de kilomètres aujourd'hui. Elle s'exprime bien, cette sœur, devant une quarantaine de pèlerins attentifs. C'est bon, les portes s'ouvrent, on peut gravir les quatre marches et entrer dans le sanctuaire. Prières et louanges : les sœurs ont de bien belles voix... L'une d'entre elles particulièrement fait des solos sans trembler, et envoie le son sous les voûtes de la chapelle comme le ferait un ange, un ange chanteur... bien entendu !

 

Arrive le moment de la bénédiction proprement dite.

 

Est-ce la faute au boudin, au verre de rouge, à la chaleur de la journée, aux kilomètres ? Sensation de malaise. Mon esprit n'est pas du tout à la prière. On attend. Impression de me vider.

 

Mes pensées zigzaguent entre comment vais-je? et qui va bénir ? Une des sœurs ? Laquelle ? Houlà ! Je ne me sens pas bien du tout. Recueillons-nous. Un prêtre ? Qui sortirait de je ne sais quelles coulisses ? Frissons, sueurs, chaleur à la tête, Tout le monde médite debout, je ne vais pas tomber dans les pommes, tout de même ! Grosse fatigue. Jamais aucune femme ne m'a béni. J'ai les jambes coupées, la tête me tourne. Après tout, pourquoi pas, bénir c'est dire du bien... Je dois être tout pâle. Sur le principe, pas d'objection, mais comment va-t-elle s'y prendre ?

 

Je m'assieds.

 

De sa stalle, la sœur qui nous a accueillis surveille son troupeau. Elle fonce vers la brebis qui ne tient plus sur ses jambes, l'empoigne vigoureusement par une patte antérieure, et l'entraîne d'un pas ferme, mais en toute charité bien sûr, hors de la chapelle, dans l'antichambre ! Nous nous asseyons sur un banc de pierre le long du mur. Elle cherche à me faire parler.

 

- Vous devez être fatigué, vous vous êtes assis par terre, tout à l'heure... je vous ai vu !

 

- Oui, ça va aller, merci...

 

Lui suis-je tombé dans les bras ? Je ne saurais dire. En tout cas ce sont les derniers mots que j'ai bredouillés. Et puis un disjoncteur a fonctionné : à l'intérieur de mon corps et de ma tête, plus de lumière, plus de courant,

 

on a coupé le circuit.

 

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8 avril 2011 5 08 /04 /avril /2011 19:22

 

Récit                Leon – Hospital de Orbigo

                         36 km

 

ENTREE-VILLAR-DE-MAZARIFE-copie.JPG

  Pour un monde nouveau        Photo J F F

 

Un grand type très maigre, blanc comme un linge sauf le nez, rouge de soleil, le crâne rasé, est étendu sur le dallage. Pas beau à voir. Sept personnes l'entourent. L'une d'entre elles lui tient les pieds levés en l'air.

 

Les pèlerins qui ont assisté à la bénédiction sortent de la chapelle en masse et passent, intrigués, en regardant le grand maigre qui reprend ses esprits. Ses sauveteurs sont inquiets.

 

- How are you ? me demande l'un d'entre eux, au moment où j'entr'ouvre un oeil.

 

Un bonne âme me tend du sucre qu'elle a dans son sac et un verre d'eau.

 

- I feel better...  thank you ...

 

Il y a comme un deuxième malaise quand, penaud, je me relève et, évitant les regards et les questions, me rends doucement vers le dortoir où je m'endors à nouveau, cette fois-ci dans un vrai sommeil.

 

Le lendemain, je suis encore perplexe sur ce qui m'est arrivé. Mon voisin de lavabo, un crâne rasé aussi, et lisse comme le caillou que je garde au fond de mon sac, s'occupe de sa barbe. Il a envie de parler :

 

- Where are you from ?

 

Très vite on passe au français, il est belge.

 

- Vous savez, moi, je profite de mes grandes vacances – je suis professeur de théologie et religion  – pour faire le Camino. Je veux résoudre mes problèmes.

 

- Ah bon ?

 

- J'ai trois problèmes : je bois trop, je fume trop, et je ne trouve pas de femme.

 

-  Ah ?

 

-  Oui, vous avez dû vous en rendre compte, sur le chemin, on a le temps de réfléchir.

 

-  Bien vrai !

 

-  Alors j'ai compris que si j'avais ces trois problèmes, c'était parce que je ne m'aimais pas.

Comme je ne m'aimais pas, je faisais de l'autodestruction.

 

-  Ah d'accord... 

           (Comment ponctuer avec un autodestructeur ?)

 

-  Déjà j'ai pu m'arrêter de fumer. Et je bois moins de bière, du coup, j'ai perdu un peu de mon ventre...

 

Avant de quitter la ville de Léon, je passe au Musée du Couvent San Marcos. Dans une belle pierre blonde, volutes, corniches et coquilles accrochent le regard à chaque instant.

 

Le Paramo après Leon n'est plus tout à fait la Meseta : avec l'irrigation, on y cultive tournesol et maïs. Le gouglou des ruisseaux et des canaux se fait entendre. Au bord du chemin le fenouil sauvage sèche ses ombelles en diffusant son parfum un peu oriental...

 

 Marcher à reculons permet de se reposer, tout en avançant. Je le fais de temps en temps. C'est ainsi que je vois venir un cycliste fringant, tenue sportive impeccable. Il en profite pour faire une petite pause :

 

-   D'où je viens, moi ? De Rotterdam, et je roule depuis la Gare du Nord, à Paris. C'est un voyage, que je fais, hein, pas un pèlerinage, je ne suis pas croyant.

 

On continue, lui à vélo, moi à pied.

 

-   Mais qu'est-ce que c'est intéressant ! Tenez, par exemple, cette église près de Saint-Emilion, comment s'appelle-t-elle déjà ? Ah, je ne sais plus... Passée la frontière, ce que j'apprécie le plus, ce sont les peintures dans les églises espagnoles...On y voit l'influence flamande, et moi, ça me parle ! Bon, allez, je continue, au revoir ! Bon courage !

 

Un orage me surprend juste avant le pigeonnier de Vilar de Mazarife. Le vent, les trombes d'eau, c'est déjà impressionnant. Quand un éclair lézarde le ciel non loin de moi et fait un vacarme d'enfer, ma détermination fléchit. Quelle stratégie adopter si la foudre s'approche encore ? Ne pas se réfugier sous un arbre, d'ailleurs il n'y en a pas. Tu me vois, vautré à plat ventre dans la boue, enveloppé par ma cape écarlate, priant que l'électricité du ciel veuille bien frapper un point plus élevé que moi ?

 

Heureusement le nuage passe.

 

Dans le gros bourg, une jeune pèlerine blonde d'allure fragile me demande de l'aider à entrer dans le café. Elle n'ose pas, il n'y a que des hommes !

 

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Cafés de campagne Dessin et couleurs par Judith Vanistendael    &    Photo J F F

 

Les trombes d'eau dégringolent  à nouveau. Nous sommes bloqués dans le bistrot où les habitués jouent au domino. En attendant de pouvoir ouvrir l'église St Jacques à côté, le bedeau est le plus audacieux. Il engage la conversation et après maints signes d'approche, arrivera dans un certain geste de... sympathie, à toucher l'épaule de ma protégée...

 

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Grand lit, petite rivière       Photo J F F

 

Plus loin, Hospital de Orbigo remplit ses promesses. Le pont roman aux 20 arches offre un décor digne de l'histoire du vrai Don Quichotte. Le chevalier y avait combattu, des heures durant, en l'honneur d'une dame...

 

 Il fait bon s'arrêter au refuge de la Paroisse. Plus que 16 km avant Astorga, où je me réjouis de visiter le palais épiscopal construit par le maître catalan de l'art Nouveau, Gaudi.

 

Tout va bien.


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20 février 2011 7 20 /02 /février /2011 14:19

Récit           Hospital de Orbigo - Astorga

texte sonorisé      16 km

 

A ton retour, tu rêveras longtemps que tu es encore sur le chemin. Le rêve que j'ai fait cette nuit est à mille lieux du palais de fantaisie que Gaudi avait imaginé, et bien proche de la vie ordinaire. J'ai rêvé qu'un de mes collègues faisait le maximum pour s'emparer de mes clients !

 

Les deux couples de cyclistes qui prennent le petit déjeuner avec moi viennent tout droit de leurs Pays Bas. Ils ont séjourné à Compiègne, dans le beau refuge de dix places. De la journée qui commence, ce sont les seules personnes avec qui j'aurai une conversation.

 

Se mettre en mouvement n'est pas trop difficile. Pour cela on y est aidé : en principe les refuges ne te laissent pas dormir deux fois au même endroit.  Nous en sommes au quatrième jour et j'enfile déjà mon sac comme un vêtement. Malgré le caillou lisse et coloré que je garde tout au fond, je ne sens plus son poids. Alors, en route !

 

Les jambes tricotent en cadence. Une montée ensoleillée suivie d'un joli paysage fait de bois et de champs cultivés m'entraînent dans des pensées disparates.

 

Cette plante à fleurs orange, au bord du champ de luzerne, c'est du souci, le nom me vient à l'esprit, mais si j'en cherche en vain le nom latin, et si, sans résultat, je souhaite me rappeler ses vertus curatives, pour quelle raison et pour quoi en faire ?

 

Dans l'ondulation du terrain où les pas se suivent, le chemin me semble décidément très beau. Quelle satisfaction ! Il faudrait vraiment, près de là où je vis, faire quelque chose qui montre aux autres que se mettre en route est facile et qu'ils ont tout à y gagner !

 

Le pigeonnier que j'ai vu hier, était-ce une cabane ou un pigeonnier ? Pourquoi la photo que j'en ai prise est-elle importante ? Ce cube plein a-t-il un sens caché ? L'espace autour est-il si vide ? Qu'est-ce qui compte le plus ? Est-ce la construction à l'aspect fermé ou l'horizon, ouvert au contraire, cette ligne droite qui croit nous mener à l'infini ?

 

Marcher au pas ou voyager à toute vitesse, c'est changer d'horizon. Partir c'est aussi redécouvrir l'horizon qui n'intéressait plus, qu'on ne voyait plus...

 

Paysages de villes, vues marines, panoramas des campagnes et des montagnes, l'horizon est un trait fini qui mène à l'infini. Illusion que le monde s'arrête à un endroit précis. On ne peut le prendre dans sa main, il bouge au fur et à mesure que l'on avance. Qui sommes-nous face à cette ligne qui existe et qui n'existe pas ?

 

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Croisée de chemins - Santo Toribio  Photo J F F

 

Justement j'arrive à la Croix de Santo Toribio où ceux qui viennent de Séville par la via de la Plata rejoignent le Camino. C'est de là aussi que, d'un coup, le pèlerin découvre la plaine d'Astorga. Au milieu la vieille ville est perchée sur une sorte d'Acropole.

 

A propos d'horizon, ce serait intéressant d'étudier les panoramas du monde, de comparer la vue d'Astorga avec, par exemple, la Baie de Salerne du haut de la corniche, les toits de Paris photographiés par les millions de touristes à Montmartre, la cathédrale de Meaux découverte par l'automobiliste qui vient du sud, Florence, belle dame caressée du regard à partir du Piazzale Michelangelo... Juger de la symbolique des courbes du terrain, des volumes des dômes, des élans des tours et des flèches...

 

Qu'est-ce qui m'a pris à Leon, et pourquoi ? Rater une bénédiction, quelle importance ? L'esprit s'absente quand le corps faiblit... Combien de connections neuronales faut-il pour rester conscient ?

 

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Pourquoi faire simple ? Photo J F F

 

Le moral est maussade quand je franchis la Puerta del Sol. Je traîne un peu et quand j'approche du Palais Gaudi c'est pour apprendre qu'il est fermé. Qu'il le restera tout l'après-midi parce que c'est dimanche. Et toute la journée demain, parce que c'est lundi.

 

            

   ASTORGA-GAUDI-1-BIS-copie-2.jpg

Sous bonne garde Photo J F F

               

Mala suerte !

 

Impossible de visiter le Museo de los Caminos qu'il renferme.

 

Je suis dégoûté.

 

Ma sieste géante de dépit ne me remet pas en selle. Fatigue, isolement, solitude, mauvaise humeur. En plus, personne à qui parler. C'est ce que je voulais, non ?

 

N'y pensons plus, demain je dois faire l'ascension de la Croix de Fer, à 1500 m d'altitude

et j'ai quelque chose à y déposer.

 

 

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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 16:39

Récit  Astorga – Rabanal del Camino  -  El Acebo

            38 km

 

Ce que je dois déposer à la Cruz de Ferro c'est le caillou lisse gris, bleu et blanc, chargé d'inscriptions, que je garde au fond de mon sac. Mais nous n'y sommes pas encore.

 

Le repos pris hier me donne des ailes. Dans la longue montée vers le sommet qui sépare Astorga de la vallée du Bierzo je rattrape des pèlerins. Avant Rabanal del Camino l'un d'entre eux, un Espagnol, m'offre en passant la phrase de sagesse du jour, à propos de son séjour en France :

 

- Il y a toujours des cons partout, mais si on est sociable on finit par trouver des gens bien.

 

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Regarder passer le pèlerin Photo J F F

 

La Croix de Fer, à la pointe de son pieu de 5 mètres, est à un col où la montagne fait le dos rond. Un distrait passerait à côté d'elle sans la voir s'il elle n'était pas plantée dans un tumulus de pierres de toutes tailles avec des sentiers qui serpentent pour monter vers le poteau de bois.

 

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les marcheurs empilent des cairns au bord de leurs chemins. Ici la tradition veut que le pèlerin dépose un caillou qu'il a emporté de chez lui. De quoi la pierre est-elle chargée ? Du mal qui l'a fait partir ? Du vœu secret qu'il va confier plus tard à St Jacques ? Les guides ont des versions diverses. Ceux qui ont oublié leur pierre, ou qui ont appris cette tradition en chemin déposent un objet, un foulard, des chaussures...

 

Mon caillou vient d'un peu de terre à côté de ma maison. Je l'ai nettoyé et je l'ai partagé avec chaque membre de ma famille. A chacun j'ai proposé d'inscrire des mots ou une phrase. On a de grandes peines et de grands désirs quand on a 16 ou 20 ans ! Mon épouse a ajouté son inscription et moi la mienne. C'est beaucoup plus que cinq cents grammes de minéral bleui par l'encre que je dépose.

 

 

 
Adieu caillou Photos J F F

 

-         A picture ? Sure !

 

Deux cyclistes acceptent de me prendre en photo. Ils s'en vont. Plus personne alentour. Prenant tout mon temps, ma tâche accomplie, je crois bien que je suis resté là des heures. A écouter le silence, à examiner l'endroit, à attendre, au cas où il se passerait quelque chose.

 

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Langues croisées Photo J F F

 

Les graffitis couvrent les murs de la chapelle voisine, les sapins sombres côté nord de cette clairière cachent les oiseaux, la route goudronnée paraît vide, inutile, comme peuvent l'être les routes forestières, désertes pendant toutes les heures du jour.

 

Déposer un caillou au pied d'une croix. Jamais fait auparavant. Je pensais prier avec les pieds.

Prier avec la main ?

 

En redescendant des Monts de Leon, en pente douce d'abord, puis plus raide ensuite, comme nourri par la solitude et le silence, les pensées se succèdent.

 

Tout naturellement me vient à l'esprit une phrase que je n'ai jamais écrite : "Ce que vous faites à votre prochain, c'est à moi que vous le faites". Ou en substance. Si mon prochain, c'est moi, qui est moi ? S'agit-il de lui, de moi ou d'un autre ? La bienfaisance touche beaucoup plus que celui à qui elle s'adresse.

 

Faire le bien, c'est apporter un plus à l'ensemble de l'univers, à l'instar de l'effet papillon, qui, d'un battement d'aile arrive à changer la planète. Celui qui aura été rendu heureux par un geste de générosité donnera à son tour du temps, de l'attention ou quelque chose à son voisin, qui fera plaisir à sa fiancée, laquelle à son tour aidera son petit frère, et ainsi de suite... L'humanité est une chaîne qui doit devenir solidaire.

 

A Monjarin, le chemin longe des dizaines de maisons sinistres dont il ne reste que le bas des murs. L'entrée du refuge ne me dit rien qui vaille. Tout y a l'air de bric et de broc. Et j'aimerais bien prendre une douche ce soir.

 

Faire le bien, reprends-je, (on ne va pas s'occuper du mal) c'est aussi se faire du bien à soi. Une sensation très agréable, un mélange d'estime de soi, de sérénité, une sensation comme un déploiement, comme un corps qui se lève, une poitrine qui respire plus profondément, une feuille du printemps qui s'ouvre. Sans prétention, mais en appréciant la moindre raison de profiter de cet instant. Alors "moi", c'est moi  ?

 

Et si c'était une référence à la part divine de l'homme ? L'auteur de la phrase avait raison : quand tu fais du bien à quelqu'un tu le fais à la part divine qui est en lui et en même temps tu le fais à la part divine qui est en toi.

 

-         Tu délires ! de quel droit parles-tu de ta part divine ?

-         Parce qu'elle existe ! Réfléchis ! Rien que le fait de penser, ce n'est pas la vache qui broute là, à droite, qui va jouer avec des idées abstraites comme nous le faisons, toi et moi. Penser, c'est extraordinaire !

-         Mais enfin, de là à parler de part divine... C'est la part humaine, tout simplement !

-         Et les génies, tu y as réfléchi ? Les Vinci, les Mozart, les Hugo ? Comment expliques-tu leur talent, leur créativité, leur inventivité, s'il n'ont pas un peu de divin en eux ? Ils ont une part divine immense ! Un Picasso qui, d'un trait, entre dans le cubisme et lui donne en même temps ses lettres de noblesse... Oui, la création artist...

-         Arrête ! tu n'es ni Léonard, ni Wolfgang, ni Victor, ni Pablo.

-         Je sais... Et pourtant, si le monde est un tout, chacun d'entre nous est une partie du tout. La voilà l'explication que je cherchais ! Atomes minuscules de l'univers, nous lui appartenons à part entière. En apportant du bien à tout, tu fais du bien à chacun et à toi aussi...

 

Pas besoin de regarder autour de moi. Je sais que je suis seul. Et que je suis arrivé à El Acebo, un des plus jolis villages de montagne du Camino, où l'on sait préparer la truite comme je l'aime.

 

A la poêle, avec pas mal de matière grasse.

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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 21:21

Récit       El Acebo – Ponferrada - Cacabelos

                32 km

 

 EL-ACEBO-3-BIS.jpg

 Le Houx  Photo J F F


Pas trop envie de quitter El Acebo. Le village a un petit quelque chose des hameaux montagnards connus dans l'enfance et on s'y sent bien. Le dortoir est déjà déserté par les autres quand je referme la porte.

 

La rue descend en pente douce, le chemin qui suit descend aussi. Il suffit de se laisser rouler, sachant que je dois traverser un grande partie du Bierzo aujourd'hui.

 

Quitter les bruyères, s'entourer d'une végétation plus sèche, sentir les odeurs semblables à la myrte, et le parfum du lavandin. Il n'y a que 700 m à dévaler, mais tout change. La terre est presque pelée, les rochers affleurent par endroits, et en dégringolant de pierre en pierre, à un moment, j'entends les cloches d'un troupeau invisible, qui paît plus haut.

 

La pensée navigue un peu dans tous les sens : les amis de Nouvelle Calédonie et la philosophie de leurs lectures, Rousseau et ses rêveries, la nature et sa beauté divine, et bien d'autres choses encore. 

 

A un moment le regard embrasse toute cette vallée du Bierzo, active, lumineuse, centrée sur Ponferrada. Au-delà sont les dernières montagnes avant Santiago mais je ne sais pas localiser le passage des jours à venir, le Cebreiro. J'aimerais pouvoir dire "C'est là que je vais passer", repérer le col qui m'ouvrira la porte de la Galice. Le chemin va m'y mener.

 

A Molinaseca, je téléphone à la maison. Sensation désagréable de l'éloignement...

 

ENTRE-MOLINASECA-ET-PONFERRADA-BIS.jpg

Clin d'oeil    Photo J F F


Traversée du joli village de Campo, puis de Ponferrada.  Les souvenirs des Templiers sont réels cette fois-ci, avec le château aux murs de 162 m de long. En face, la Vierge est apparue à l'un des moines-soldats, au sommet d'un chêne, la Virgen de la Encina.

 

BIERZO-CAMPONARAYA-BIS.jpg

Pris dans le Bierzo  Photo J F F 

 

Le fond de la vallée est un pays neuf, un peu l'inverse de la meseta, au physique comme dans l'esprit. Humidité naturelle, richesse et variété des cultures, fort peuplement, maisons proprettes, et montagnes tout autour.

 

Dans la petite côte au milieu des vignes, après Camponaraya, il fait une belle chaleur, je me rafraîchis les pieds dans le courant rapide d'un petit canal d'irrigation. Passent quelques pèlerins qui s'amusent de me voir patauger. C'est le moment que choisit un grand gars, entrevu déjà 3 jours plus tôt, pour faire comme moi.

 

-         Comment t'appelles-tu ?

-         Woïté !

 

Un prénom qui ne me dit rien au départ. En réalité mon interlocuteur s'appelle Wojcek. Il est tchèque.

 

Sur le chemin, on a deux possibilités:

-         soit on choisit de marcher seul pour plein de bonnes raisons,

-         soit on se rend attentif aux rencontres que l'on peut faire, et les bonnes raisons ne manquent pas non plus.

J'avais décidé cette année d'être seul le plus possible. Méditer, contempler la nature, écouter, écouter le silence qui parle.

 

Le bain de pieds terminé, c'est ensemble que nous reprenons la route. Bah, ! il sera bien temps plus tard de m'isoler à nouveau ! Conversation, présentations. Wojcek ne parle pas fort, semble avoir une grande énergie interne, il a un regard bleu dur caché par des lunettes aux montures trop épaisses. Il est parti de St Jean Pied de Port. Sa motivation religieuse est très forte, à chaque église ou chapelle, il a l'air imprégné d'une grande dévotion. Je suis content de parler de mes convictions comme de mes doutes sans qu'il cherche à me contrarier ou à me convertir.

 

Je lui raconte ma mésaventure de Leon et de l'air idiot que j'avais, les quatre fers en l'air après ma bénédiction ratée. Il me dit :

-         Combien de kilomètres dis-tu avoir fait ce jour-là ?

-         Trente-trois, pourquoi ?

-         A mon avis, c'est plus, ça doit faire quarante, quarante-trois kilomètres...

 

C'était donc ça ! Grosse chaleur + fatigue du deuxième jour + trop de kilomètres. On peut se passer de beaucoup de choses en chemin, mais pas de se rappeler les simples règles de calcul...

 

A Cacabelos, le refuge est aménagé autour de l'étrange Sanctuaire de la Cinquième Angoisse. Le refuge est plein. Il n'y a plus qu'à dormir dehors. Ca ne sera pas la première fois.

 

Un autre pragois me prête son matelas en caoutchouc, nous assistons à une messe. Eh oui, c'est la leçon que j'ai retenue de Sahagun, quand j'y étais arrivé l'an dernier... j'ai compris qu'essayer de prier ensemble c'est mieux que tout seul. Après la cérémonie, discussion à bâtons rompus en pique-niquant au pied du pont, au bord de la rivière, avant la nuit.

 

Pour dormir, nous choisissons le parc public, près du refuge. Installation du bivouac dans une demi obscurité : heureusement il y a l'éclairage public. Personne ne s'inquiète de voir deux types couchés sur la pelouse du jardin municipal. Les pèlerins ont un statut privilégié.

 

Pour une fois, j'ai de la peine à fermer l'œil : est-ce le bruit des voitures ? est-ce la Sixième Angoisse, que je ne connais pas plus que la Cinquième ?

 

Il faut pourtant se reposer, vu ce qui m'attend

demain matin...

 

 

 

 

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17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 23:09

Récit                  Cacabelos - Villafranca del Bierzo

texte sonorisé             - Laguna de Castilla

                              36 km

 

- "Réveille-toi, réveille-toi ! vite ! "

 

Il y a un Bon Dieu pour les plus croyants. Ils sentent le danger venir. Et le danger, à six heures du matin, c'est l'arrosage automatique ! Nous n'avons pas dû mettre plus de dix secondes (mais dix secondes c'est long quand on risque une douche froide), pour nous mettre à l'écart dans l'allée.

 

Puisqu'on est réveillé, il n'y a qu'à partir dans la nuit noire. Pas de lampe.

 

-         Tu... tu crois que c'est par là ?

-         C'est vrai qu'on ne voit pas grand chose...

-         Et si on se trompe de chemin ?

-         T'inquiète pas, on est dans la bonne direction,

                   il y a un pèlerin qui est derrière nous.

-         Tiens ! c'est justement ton copain qui m'a prêté

                   son matelas !

-         Ah ! c'est vous, je vous suis pour ne pas me perdre !

                  Je ne sais pas où est le chemin,

                  et je n'ai pas de lampe non plus...

 

Nuit noire ? pas tout à fait. Le ciel est une rivière de diamants.

 

(Si tu n'aimes pas Apollinaire, saute les six lignes qui suivent).

 

"... Je buvais à pleins verres les étoiles

Un ange a exterminé pendant que je dormais

Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries

De faux centurions emportaient le vinaigre

Et les gueux mal blessés par l'épurge dansaient

Etoiles de l'éveil je n'en connais aucune..."

 

La plus belle nuit étoilée du monde, avec ce vertige qui vient de la rotation de notre planète et de l'épaisseur de l'espace. La même ivresse rappelle qu'au dessus de l'infinité des choses terrestres -jusqu'aux cailloux et aux poussières- tournoie l'infiniment grand avec, à nouveau, des détails jusqu'aux parcelles d'univers.

 

Des centaines et des centaines de pas plus tard, deux autres cadeaux : l'Aube et l'Aurore.

 

A l'heure du café au lait et de la tortilla froide, à Villafranca del Bierzo, je branche la conversation avec Wojcek sur les "présences", les hasards et les coïncidences, souvent heureuses, que l'on rencontre en chemin vers Santiago. Il est d'accord, il appelle cela des "grâces envoyées par les saints" et il sourit gentiment quand je luis dis qu'ailleurs on appelle cela "les bonnes vibrations"...

 

Il veut revoir la porte romane du Perdon qui accorde l'indulgence plénière aux pèlerins malades incapables de poursuivre leur route. Il a l'air en bonne santé pourtant !

 

VILLAFRNCA-DEL-BIERZO

    

La ville des Francs garde l'accès aux montagnes. Je choisis le raidillon à droite qui prend de la hauteur très vite. En contrebas, près de la route à grande circulation dont tous se plaignent, les pèlerins me semblent plus petits que des fourmis.

 

En altitude, dans une châtaigneraie, longue pose tranquille au soleil. Je fais sécher les affaires un peu mouillées par les arroseurs automatiques du réveil.

 

Pique-nique, prise de notes, photos, calme garanti. Je suis comme au paradis.

Dans les hauteurs Photo J F F

 

Est-ce que tu ressens la même chose ? Le jardin d'Eden c'est automatiquement en haut. Tout petit on te dit que quand tu iras au ciel, tu as intérêt à monter au paradis, sinon on te fera redescendre en enfer. Du coup, la montagne est associée au bonheur éternel, à condition qu'il fasse beau... Je connais une colline aux pentes raides, pas loin de chez moi, on y arrive par une rue qui à la fin s'appelle rue Saint Eleuthère. La dernière courbe te mène au panorama et à la fête quasi permanente envahie de touristes au sommet, mais pour l'instant tu ne vois que le ciel. J'ai toujours l'impression que l'arrivée au paradis ressemble à ça.

 

Redescente. C'est vraiment parce que le chemin m'y oblige. Puis longue procession au fond de la vallée, à remonter le long de la route à grande circulation. Dans l'autre sens un énorme convoi transporte des pales d'éoliennes, à installer plus à l'est. Lors d'une pause, un couple de français m'aborde ; ils sont en tandem. Ils arborent des sourires radieux et me déclarent être en plein bonheur.

 

La difficulté de cette étape réside dans le fait que plus le temps passe, plus on est fatigué, et plus la pente est raide !

 

Arrêt à 1200 m d'altitude à Laguna de Castilla. Ni lac ni lagune. Mais trois maisons dont une ferme étrange, où tout ce qui est vivant est blond, et un bar–refuge plein. Pas d'abri sommaire dans le coin, d'ailleurs il fait un froid qui dissuade de bivouaquer.

 

Il faut savoir insister, et ma façon d'insister, ce soir, c'est d'attendre.

 

Finalement, j'observe du remue-ménage dans le garage. A la demande du sympathique propriétaire des lieux, deux couples de jeunes cyclistes madrilènes, équipés dernier cri, acceptent, pour me faire de la place, de serrer les deux tentes qu'ils avaient montées dans cet abri. On finit par dîner ensemble et j'apprends qu'il s'agit de 2 frères qui vivent, séparément je suppose, avec deux sœurs (on peut dire l'inverse aussi). Ils sont fourbus, surtout les filles, c'est leur troisième jour. Leur fatigue donne à leur corps et à leur regard une lenteur, une présence, une intensité inouïe. Ils s'appellent Olmo, Loreto, Enriqueta et Beltran.

 

ensemble sur le chemin   on bike to santiago

Etre bien ensemble        Photo J F F

 

Pas de faux semblant : lorsque je leur demande comment les cyclistes nous regardent, nous, marcheurs, j'apprends que c'est avec pitié... nous allons si lentement (pourtant nous allons trop vite) et nous sommes tant chargés (pourtant, le sac à dos, je ne le sens pas). De mon côté je ne les envie pas mais cela ne regarde personne ! J'ai dû leur inspirer compassion ou les distraire de leur épuisement à moins qu'ils soient déjà pèlerins : il m'offrent le dîner. Echange d'adresses, promesses de contact...

 

La soirée est brève, demain sera un grand jour : je franchirai le Cebreiro, à deux kilomètres d'ici, et j'entrerai en Galice.

 

Le pays de Saint Jacques tiendra-t-il parole ?

 

 

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30 octobre 2010 6 30 /10 /octobre /2010 09:51

Récit          Laguna de Castilla   -  Cebreiro  -   Triacastela

                   23 km

 

COL-DE-SAN-ROQUE-BIS.jpg

Franchir le Cebreiro Photo J F F

 

Bienvenue ! La Galice, c'est la Bretagne de l'Espagne. Que tu sois Breton ou Galicien, ne te fâche pas, mais avoue que quand il n'y pleut plus, c'est qu'il n'y pleut pas encore ! Tout est vert comme en Irlande (rien contre les Irlandais non plus) et ce n'est pas le seul point commun. On y joue une sorte de biniou, par exemple. Pour le mauvais temps, les jours suivants prouveront le contraire...

 

Il faut d'abord franchir une montagne, le Cebreiro. Et aujourd'hui, le Cebreiro est noyé par le brouillard. Un brouillard comme en Ecosse - et de quatre - tellement humide et épais que je manque le village de pallozas, des masures au toit de paille de seigle. Par chance je tombe sur l'église.

 

Hier j'étais émerveillé par les étoiles de la nuit. Dans l'église je vois des étoiles à nouveau, au sol cette fois-ci. Elles s'allument et s'éteignent au fur et à mesure que j'avance. C'est à se demander si je suis vraiment réveillé. Le granite grossier a des facettes de mica qui scintillent en réfléchissant la lumière. 

 

Dans cette église, on raconte qu'à la fin du XIIIème siècle eut lieu un miracle  bizarre. Le pain et le vin servant à la messe se sont transformés en chair et en sang. Bien fait pour le moine qui manquait de conviction et méprisait un fidèle berger venant de très loin pour assister à l'office ! Quelques phénomènes étranges suivirent...passons.

 

DIGITALE-BIS.jpg

Fleurs de Galice Photo J F F

 

Pour changer un peu des mûres dont je me suis gavé ces derniers temps, je trouve des myrtilles et des fraises des bois dans la descente. De temps à autre, des digitales me saluent au passage...

 

-         Et merci pour la papote !

 

Je m'étais arrêté trois secondes pour échanger quelques mots avec une gentille dame un peu essoufflée, assise au bord du chemin. Venant de Tournai en Belgique elle fait partie de ces pèlerins organisés à petit sac. Sa fille la dépose en auto le matin là où elle s'est arrêtée la veille, et vient la chercher le soir là où elle se trouve. Nuits dans les campings des environs. Chacun fait selon ses possibilités. J'ai appris qu'il n'y a pas de vrais pèlerins, ni de faux (enfin, presque pas).

 

A Fonfria, presque en bas de la montagne, où la pluie a cessé, je fais la connaissance de Frédéric, de Chicoutimi, parti de Bordeaux. Comme il a plus de 700 km dans les jambes, il est beaucoup plus naturel que ses compatriotes à la mise impeccable de premier jour que j'ai croisés dans les Pyrénées. D'un mot à l'autre, d'une phrase à la suivante, nous engageons une conversation qui va durer tout le reste de la journée. Et de la conversation, il en a. Si j'ai bien compris, il a fait des études scientifiques mâtinées de littérature et de psychologie, il a une personnalité hors pair, une très bonne culture et une intelligence vive. Dans ces conditions, j'oublie vite mon souhait de rester solitaire, on verra bien demain.

 

Les livres, les pays, les plantes, l'histoire, les idées, la vie qu'on mène, nous n'arrêtons pas de jaser... Habilement Frédéric me fait comprendre qu'il a bien saisi la nature de son interlocuteur et balance sans avertir que je suis perfectionniste et rêveur à la fois comme si c'était possible. C'est possible ? Oui, c'est possible. 

 

Nous ralentissons un peu au niveau de l'énorme châtaignier noueux de 800 ans... déjà un très bel arbre au temps des cathédrales. Depuis, il a dû en voir passer des pèlerins, et de toutes sortes ! A côté, un vieillard du même âge vend des bourdons qu'il taille et cisèle inlassablement ...

 

A Triacastela, dîner à trois en compagnie de Constantin, un des potes de Frédéric. Ce Hongrois, deux années de moins, est arrivé aux frontières de l'Espagne à bord d'un des camions de son père...

 

-         Tu te rappelle la cuite que nous avons prise, à Leon ?

-         Ah oui, répond Frédéric, on a passé une sacrée nuit !

 

C'était le soir de mon étrange mésaventure dans la même ville. Les buveurs ne sont pas toujours ponctuels : revenus trop tard au refuge des Bénédictines, ils trouvèrent porte close !  Constantin a dû dormir par terre dans la nuit froide. Frédéric a eu plus de chance : les portières d'une voiture garée trois rues plus loin n'étaient pas verrouillées...

 

Les choses n'ont guère changé depuis l'époque où le picard Guillaume Manier fit un pèlerinage plein de belles découvertes et de péripéties... profanes.

 

Marie-Claude, qui a déjà marché avec moi dans les Landes, m'appelle au téléphone. Elle confirme son arrivée prochaine, en compagnie de Chantal. Nous parcourrons ensemble les 80 derniers kilomètres.

 

Triacastela en ce mois d'août est tellement envahie de pèlerins que la ville a ouvert son gymnase. Il y a bien cent, deux cents personnes, des pèlerins seuls, ou à deux ou trois, de tous âges et un grand nombre de moins de 20 ans, en groupes. Douches sportives et froides. Chacun s'installe où il veut dans une cacophonie bon enfant.

 

TRIACASTEL-1-GYMNASE-BIS.jpg

Vue des tribunes Photo J F F

 

En Espagne, les soirées durent longtemps. Premier essai d'extinction des néons, mais tout le monde n'est pas prêt. Les bavardages diminuent. Certains se sont endormis.

 

Quand la lumière s'éteint définitivement, c'est l'hilarité générale : les respirations bruyantes de quelques dormeurs épuisés enflent, s'élèvent de toute leur puissance sous les voûtes du gymnase, et redescendent sur la foule de deux cents personnes qui veulent trouver le sommeil,

 

   en un énorme concert de ronflements  !

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