29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 17:26

Récit          Triacastela  -  Sarria  -  Barbadelo

                   23 km

 

AVANT-PORTOMARIN-2-BIS.jpg

Pensée pour Prévert        Photo J F F

 

Tout ce petit monde, qui a dormi au gymnase, se retrouve sur le chemin. Une femme m'avoue s'ennuyer et me fait un brin de causette pour se distraire en marchant. C'est la mère d'un des cent-vingt élèves provenant de différents collèges d'Espagne. Résultat : Une cohorte de sacs à dos ornés des matelas de mousse bleus (pourquoi sont-ils toujours bleus ?) qui se dandinent, en cadence, dans les chemins creux.

 

Des chemins creux bien bouseux. Qui dit bouses, dit mouches. A Sarria la marchande de piles assène un mortel coup de tapette à une colonie installée sur son comptoir avant de me rendre mon bonjour.

 

Les collines sont couvertes de haies, de prés et de bois. C'est un bocage "moucheté" de lumière quand par endroits, le soleil arrive à percer le ciel gris. Ici, pas d'horreo (tu verras plus loin ce que c'est). Les fermes ont de beaux toits. Les ardoises épaisses et noires s'entrecroisent pour en former le faîte.

 

Le pays est humide. Chemin et ruisseau ne font qu'un. Les galiciens ont résolu le problème en créant des correidoiras. Ce sont des pierres énormes, en longueur, espacées, qu'il faut sauter pour passer à gué.

 

J'admire tranquillement un de ces fonds de vallons dans une forêt de chênes centenaires quand arrive un pèlerin, bondissant comme un lutin, suivi d'un autre.

 

C'est Frédéric, mon compère d'hier. Un mot sympa à mon adresse et en trois secondes il est au sommet de la côte. Il se retourne et encourage l'autre :

 

- "Come on ! Pain is temporary, cry is eternal !" (Allons, la souffrance est provisoire, les pleurs sont éternels !)

 

A tout prendre, j'aimerais mieux la souffrance, ou ne pas choisir du tout !

 

La magie du chemin, sensiblement, est en train d'opérer. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je m'interroge sur les motivations des gens dans la société hors Chemin. Vacarme des informations nationales et internationales, course à la consommation, harcèlement publicitaire, auxquels j'échappe en ce moment. En se tenant éloigné, pas à pas, on perçoit mieux les mécanismes sombres de notre société. Agitation suscitée par nos congénères, avides de pouvoir ou fascinés par l'appât du gain... Mensonges, paillettes, communication tous azimuts, promesses, milliards, tromperies, parades et apparences, revenus...

 

Oui, c'est simple finalement, la plupart des humains courent après les biens matériels ou le pouvoir. Souvent les deux à la fois.

 

"Pendant ce temps, dirait notre ami Michel, le pèlerin marche".

 

Poussé par un appel, un besoin d'élévation , d'absolu, vers une quête, une troisième voie, mystique celle-ci, à la recherche de soi, de l'autre, et du fond des choses... mais je cause, je cause, il va falloir penser à dormir ce soir !

 

 

BARBADELO-LITIERE-BIS.jpg

Autoportrait          Photo J F F


Le refuge de Barbadelo est complet. J'ai déjà repéré, vingt mètres plus bas, une structure en béton ouverte aux quatre vents, vide. Dans un coin : une litière de foin et de menthe sauvage. Un parfum de crèche de luxe.

 

C'est demain que mes deux amies devraient me rejoindre...

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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 20:00

Récit          Barbadelo  -  Portomarin  -  Gonzar

                   26 km

 

 BORNE-DES-100-KM-APRES-BREA-BIS.jpg

Une borne pas comme les autres  Photo J F F


En réalité j'ai "crêché" à côté du chemin à grande circulation. Dès l'aurore, défile en procession à vingt mètres de moi la foule d'hier qui parle, chante, rit et tape du bâton.

 

J'emboîte le pas. Seul dans un troupeau où les Espagnols sont majoritaires. Joyeux, certains jouent aux devinettes pour tuer le temps.

 

J'arrive à capter quelques mots :

Un fruit :

"Oro no es, plata no es. Qué es ?"

Réponse : c'est la banane ! (platano)

 

CHEMIN-CREUX-et-cyclistes-BIS-copie-1.jpg

Des chemins creux bien pleins   Photo J F F

 

Dans les chemins creux, parfois étroits, le gros danger vient des cyclistes. Il vaut mieux marcher droit. D'un instant à l'autre ils peuvent débouler et te frôler avant que tu aies le temps de dire ouf ! Parfois, de loin, derrière, tu entends : "Buen Caminooooooo !" C'est un cycliste qui crie bien fort. Une façon de dire "Cuidadoooooo !" (attention ! j'arrive !) avant de bondir de bosse en bosse. Il y a la moyenne à tenir...

 

Après Moimentos et Parrocha, tout le monde franchit le grand pont sur le Mino, un fleuve déjà large ralenti par un barrage avant de poursuivre son cours vers l'Atlantique. Le fond de la vallée a été définitivement noyé. Portomarin, en plein milieu des terres comme ne l'indique pas son nom, a été reconstruite plus haut. Les plus beaux édifices ont été remontés.

 

L'église San Juan, devenue San Nicolas avait été bâtie dans les proportions romanes alors qu'en même temps en Ile de France, le gothique triomphait (XIIIème siècle). Elle ressemble aux églises fortifiées. De près je m'aperçois que comme à la chapelle d'Audignon, comme à la Basilique de Vézelay, comme dans la plus ancienne tour du château de Pierrefonds, comme à Chambord, les tailleurs de pierre ont laissé des marques distinctives...

 

A 5 heures du soir, le refuge de Gonzar est complet depuis bien longtemps. Pas mal de gens s'apprêtent à dormir par terre, dehors, sous l'auvent du café voisin. Je me joins à eux.

 

Pas de nouvelles de mes amies qui devaient me retrouver.

 

Que sont-elles devenues ?

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11 septembre 2010 6 11 /09 /septembre /2010 07:57

Récit                    Gonzar – Hospital de la Cruz

                             3 km

 

 CYCLISTE-ET-SELLO-BIS.jpg

Le "sello" en vitesse et en self service    Photo J F F

 

Pas sûr que mes amies apprécieraient une nuit comme celle que je viens de passer : le bar devait être une ancienne station-service. Immense dalle de béton, courants d'air et coups de vent à réveiller un arbre mort, et durant la nuit quelques voitures sont passées en trombe, leurs phares balayant l'espace...

 

Un café au lait après le réveil, et la nuit est oubliée.

 

Comme tout le monde je me mets en route.

 

A 8 heures, 8 minutes et 8 secondes, je reçois un message :

"Coucou approchons Lugo,  Te propose RV à Hospital de la Cruz vers 12h refuge pèlerin"

Et un deuxième message :

"Si tu es loin, prends ton temps"

 

D'accord. Je sais que Hospital de la Cruz fait partie des villages à traverser aujourd'hui, mais je ne sais pas précisément où je suis.

 

A ma gauche un café-bar-restaurant-pension avec une cabine téléphonique. Avant d'appeler, je demande comment s'appelle l'endroit.

-         Vous êtes à Hospital de la Cruz, Monsieur !

 

Quand le refuge pèlerin, à deux pas de là, ouvre sa porte, c'est l'heure du ménage. Je n'ai rien à faire. Je balaie le rez-de-chaussée. L'hospitalière, employée régionale de la Galice, me regarde étonnée et se confond en remerciements :

-         C'est la première fois qu'un pèlerin fait ça ! 

 

Il faut tuer le temps en attendant que le refuge ouvre officiellement. Je retourne au bar. Deux pèlerins de Trèves dévorent des bocadillos de tortilla. Ils s'effondrent de sommeil, la tête dans les bras sur la table, ils ont 17 ans. Record de jeunesse indépendante sur le chemin...

 

Au comptoir, pendant ce temps, c'est le défilé des cyclistes en train de faire la course au tampon. La folie du chemin continue, tout va bien...

 

Arrivée des amies Marie-Claude et Chantal. C'est une joie de les retrouver, de les embrasser, de les accueillir, d'écouter les aventures de leur voyage. De train en autocar, des péripéties, elles en ont eues !

 

Balade-mise en jambes le reste de la journée, et puis nous parlons du programme des jours à venir. Demain nous devons arriver à Casanova.

 

Ce nom me dit quelque chose,

quelque chose en rapport avec la séduction...

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3 septembre 2010 5 03 /09 /septembre /2010 06:01

 

Récit                Hospital de la Cruz  -  Palas de Rei  -  Casanova

                         19 km

 

HORREO-BIS.jpg

Photo J F F

 

Le Casanova vers lequel nous partons devrait ressembler à une école convertie en refuge. Eh oui, en Galice aussi, les villages sont dépeuplés et les écoles ferment...

 

C'est la partie du chemin  où l'on peut voir le plus d'horreos. Les horreos sont des greniers en pierre sur pilotis. On en trouve un peu partout, dans les champs, dans les cours des fermes. Les récoltes étaient à l'abri des rats. Pour ce qui est des voleurs, ils n'avaient qu'à se servir, s'ils n'avaient pas peur de l'enfer...

 

CALVAIRE-A-LIGONDE-BIS.jpg

Photo J F F

 

IMG_0693-base-du-calvaire-.JPG

©David MARTIN | blog.sushilabs.com


Au calvaire de Ligonde, le plus beau de Galice, la mort nous fait un clin d'œil un fois de plus, avec crâne et demi-fémurs.

 

Au refuge, surprise : je retrouve HSO (l'Homme du Sud-Ouest) qui m'avait accueilli à Calzadilla. Un couple de pèlerins sort du refuge. Est-ce leur façon de se tenir l'un par rapport à l'autre ? Il y a comme une aura autour d'eux, je ne sais pas d'où cela vient. Ils s'en vont en contrebas vers un pré inondé du soleil de l'après-midi et masqué par les bosquets...

 

Le camino n'est pas qu'un lieu de rencontres amicales et fraternelles. Je m'en étais déjà aperçu à Terradillos de los Templarios.

 

Au dîner, nous nous retrouvons tous à table dans un restaurant agréable du voisinage. En face de moi le couple de tout à l'heure. Ils continuent à diffuser leur lumière. Sympathique, lui est français. Elle est une blonde étrangère aux formes agréables et généreuses, mais rien de trop. Il a l'air accro, elle plus distante.

 

Le dortoir de Casanova est étroit, mal fichu. On y a entassé une dizaine de lits superposés.

 

Extinction des feux. Au milieu de la nuit, un bruit me réveille. Je reconnais la voix de la jeune blonde. Elle émet quelques mots inintelligibles, puis, d'une voix puissante, elle s'écrie dans son rêve : "Is it that what you want ?" (C'est ça ce que tu veux ?)  puis elle répète : "Hey! Is it that ?" (Hein, c'est ça ?)

 

Rien que de l'humain. Dormons. Ce cri est un secret, c'est une confidence faite aux esprits de la nuit. 

 

Ce qui est moins rare, en chemin, c'est d'entendre des confidences, consciemment émises, en plein jour.

 

Comme celles que j'ai entendues le lendemain.

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21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 19:30

Récit              Casanova  -  Melide  -  Ribadiso de Baixo

                       21 km

 

RIBADISO-CROQUIS-1-BIS.jpg 

Photo J F F

 

" La transformation intérieure demeure l'idéal mystique du pèlerin".

 

Les moments, les heures, les journées passés à marcher poussent le pèlerin à réfléchir, même lorsqu'il est en compagnie. La simplicité de vie est proche du dénuement. On vit de peu, on se satisfait de peu. Les apparences sont celles du réel. Pour beaucoup de pèlerins cette transformation, dont parle Frédéric Gros, mène au partage de leurs pensées. Raconter ce qui se passe à l'intérieur de soi ne semble plus faire une grande différence. Et mettre en mots le résultat de sa méditation la concrétise.

 

Tu auras l'occasion d'entendre des secrets, et des gros, au moment où tu t'y attendras le moins. Le matin du départ de Leon j'avais été surpris du naturel et de la simplicité des confidences recueillies aux lavabos, entre savon et dentifrice...

 

Chemin pavé, églises et ponts du Moyen-Age. Nous traversons le village traditionnel de Leboreiro. A Furelos un drôle de Christ n'a pas les bras en croix. Sa main droite pend, sanguinolente.

 

Une journée de marche a suffit pour que Chantal, Marie-Claude et moi ayons envie de nous dire un peu de nos secrets. Nous passons la matinée à écouter, à échanger et à nous apprendre des bribes de vie que nous n'aurions jamais partagées dans un salon ou au bureau...

 

Parler donne soif, marcher ouvre l'appétit : nous arrivons à Melide. Arrêt dégustation. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour une ville située à 65 km de l'océan, Melide est la capitale du poulpe. Attendri à souhait, cuisiné à point, rougi à la tomate, parfumé au paprika, c'est un régal.

 

On reprend la route. Les conversations alternent avec les silences. Compagnie et solitude.

 

Arrivés à Ribadiso de Baixo, nous  découvrons un paradis. Un peintre fait des croquis en prévision de tableaux à venir. Des pèlerins déjà arrivés font trempette dans l'eau fraîche du Rio Izo. Le refuge, le premier groupe de maisons près du pont, était un hôpital franciscain au XVème siècle. Le site a été si bien restauré qu'il a gardé sa beauté originelle. Les pierres brunes grossières semblent résonner encore des prières des moines et des pèlerins.

 

Nous retrouvons HSO (l'Homme du Sud-Ouest) à l'accueil. Nous attendons notre tour de présenter notre crédenciale. C'est le moment que choisit HSO pour m'annoncer qu'il a trouvé la clé de son problème personnel qu'il m'énonce tout de go. Internet va l'aider à le résoudre. Il est plein d'espoir, déterminé, et m'en parle comme si j'étais au courant.

 

Ecouter. Ne pas questionner. Entendre.

 

Ce n'est qu'après-demain que nous arrivons à Santiago. Pourtant demain sera un grand jour.

 

 

Un cap à passer, mais chut ! c'est un secret !

 

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2 août 2010 1 02 /08 /août /2010 20:35

Récit         O Pedrouzo – Lavacolla - Santiago 

texte sonorisé     16 km

 

PL-OBRADOIRO-VERSO-BIS.jpg

 

Place de l'Obradoiro côté pile

 

Les 16 kilomètres sont faciles et distrayants. Il y a tellement de monde sur le chemin dans cette campagne vallonnée ! Dernier jour pour beaucoup de pèlerins... Bouffées d'émotion... bonheur d'arriver ou tristesse que le chemin finisse ?

 

Après le vacarme des pistes de l'aéroport, passage à Lavacolla, au nom évocateur. La tradition voulait que le pèlerin se lave intégralement avant l'entrée dans la Ville Sainte de Santiago. Difficile aujourd'hui : trop de témoins possibles et le ruisseau est trop petit. En guise d'ablutions je me trempe longuement les mains dans l'eau fraîche pour noyer ce qui ressemble à du chagrin. Tant pis ! Au-delà de Santiago, j'aurai bien le plaisir de me baigner dans la mer, puisque, c'est décidé depuis le début, je continuerai vers Fisterra.

 

Les 16 kilomètres ne sont pas grand chose, on arrive vite au Monte de Gozo, ce Mont-Joie d'où enfin on peut apercevoir, pour la première fois, les toits et les clochers de la cité. De la ville monte un grondement de circulation, de gens affairés. Nous redescendons et nous entrons dans les nouveaux quartiers, où le bruit se fait plus fort, puis dans les faubourgs anciens.

 

LES-CLOCHERS-DE-SANTIAGO-PAR-JUDITH-VANISTENDAEL.jpg

 

Croquis de Judith Vanistendael

 

Du refuge du Monte de Gozo qui compte des milliers de lits sortent beaucoup de pèlerins. De ce fait, c'est vraiment en foule que se pressent les marcheurs sur les quelques kilomètres qui restent. A ceux qui n'ont fait que le minimum, à ceux qui ont couvert huit à dix huit fois plus de distance se mêlent ceux qui n'en sont pas à leur premier camino, et tout ça dans la bonne humeur. Un peu comme pour une fête qui aurait des milliers d'invités ou comme un carnaval où les familles et les amis se dirigent vers le spectacle... Tu es pris par le mouvement, par cet élan auquel tu appartiens aussi. Rien ne pourrait arrêter cette avancée vers quelque chose d'inexplicable.

 

Conversation avec la femme d'un couple de catalans, quand un irlandais plus jeune lui adresse un :

-  Carmen ! que tàl ?

-  You here, Sean !

Ils s'étaient rencontrés et s'étaient rattrapés de temps en temps du côté des Pyrénées, puis jamais revus. Surprise, exclamations de joie, effusions. En trente jours, séparément, ils ont vécu des difficultés, des peurs et des bonheurs différents, mais semblables. Ils ont fait le même chemin. Quand tu les vois s'embrasser, ça te prend aux tripes.

 

 

Les 16 kilomètres sont terminés. On entre dans la vieille ville. Nous traversons les rues de granit brun, les façades sont de la même couleur, les boiseries aux fenêtres sont blanches. Des pèlerins partout. C'est la belle zone historique où seuls les piétons sont admis. On n'entend plus que les pas, les bourdons qui frappent le sol et les clameurs des conversations. Il faut serpenter à travers les ruelles. L'heure approche. D'un coup, presque par inadvertance, tu découvres la cathédrale.

 

Les flèches ouvragées en pierre rugueuse s'élancent avec une fantaisie baroque démesurée : colonnes, frontons, socles, statues... Je m'arrête... C'en est trop. D'ailleurs c'est fini. Je m'assieds sur un mur de la Praza de Immaculada, que, pendant des siècles, des milliers de pèlerins ont atteinte après souffrances, efforts et dévotions, je regarde autour de moi les façades des bâtiments et les gens de toutes les nations. Quand tu y arriveras à ton tour, tu ne pourras pas t'en lasser. Tu attendras que ça passe. En même temps tu souhaiteras que chaque moment de ta vie soit pareil à celui-ci.

 

Au bout d'une demi-heure, Marie Claude et Chantal me sortent de mon hébétude et nous allons déjeuner. En face de la terrasse du petit restaurant, un guitariste entonne des chants où vibrent tout l'amour, toute l'histoire, toutes les peines des espagnols, toute l'âme de l'Espagne. Pas besoin d'être hyperémotif, c'est l'estocade.

 

Après le déjeuner, les amies sont parties trouver une chambre. Relâchement. Je m'endors sur ma chaise, dans cette rue, sur la terrasse du petit restaurant.

 

Quelque chose me réveille, je reprends mes esprits... c'est à ce moment-là qu'il se passe un truc incroyable. Le téléphone sonne, quelqu'un m'appelle de France et me donne un rendez-vous espéré depuis des mois... Ca ne s'est pas passé hier ou un autre jour, non, il a fallu que ce soit ici, à mon arrivée à Santiago. Je ne peux pas t'en dire plus, mais la coïncidence est trop forte, je suis abasourdi.

 

Dans l'après-midi, il y a deux ou trois choses à faire. Parmi elles, l'admiration des voûtes et des sculptures de la cathédrale et l'embrassade du buste doré de St Jacques, bien au-dessus de l'autel, dans un décor d'anges bouffis en bois doré. Alors je pense très fort à la bénédiction du départ, à Bernard, qui m'avait parlé de ce buste il y a plusieurs mois, au sens collectif de mon geste et je me dis que ça ne peut pas me faire de mal.

 

J'assiste à une petite cérémonie en espagnol et en italien où quiconque le souhaite peut prendre la parole et témoigner de ce qu'il a vécu. Je voudrais bien, moi, leur dire que ce chemin a été pour moi aussi l'expérience la plus longue, la plus forte, la plus riche, la plus haute de la petite vie que j'ai vécue, mais je me tais, je le dirai plus tard, à d'autres... et je suis d'ailleurs trop ému pour garder la voix claire.

 

Pas de messe à botafumeiro aujourd'hui, nous ne sommes que le 13 août. Il chauffera bien dans deux jours et je comprends que ce n'est pas pour moi...

 

Entre quelques courses et un moment d'attente, je contourne la cathédrale et les quatre places qui l'entourent et je croise de nombreux visages connus en chemin : les deux jeunes allemands, un jordanien et un brésilien, les parents du groupe des 120 collégiens, un couple d'italiens du Haut Adige, et même Elisabeth, la fille d'Albuquerque rencontrée juste après Sahagun... Combien de pèlerins en plus je reconnaîtrais si j'avais parcouru le camino d'une seule traite !

 

Voilà 5 heures que nous sommes arrivés à Santiago. Il est trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit. Etre un pèlerin est-ce que c'est bien ? des problèmes sont-ils résolus ? est-ce que je comprends mieux mes congénères humains ? ai-je surmonté toutes mes peurs ? ai-je apprivoisé la mort ? puisque Dieu existe, me suis-je rapproché de Lui ? suis-je à présent quelqu'un de différent ? ai-je trouvé le bonheur ? Je crois bien que les réponses sont affirmatives, quoique.... sous une forme différente de ce que l'on peut imaginer. Ce qui est sûr, c'est que ça ne c'est pas passé à l'arrivée ici, mais en chemin... Je n'ai pas encore le recul pour analyser et mettre des mots sur tant de sentiments mêlés. Dans quelques mois je pourrai te donner des détails si tu me les demandes. Mais je le ferai entre nous : je ne suis pas sûr que cela intéresse tout le monde...

 

CATH-SANTIAGO-BIS.JPG

 

Place de l'Obradoiro côté face

 

Nous dormons ce soir dans une petite pension. J'y trouve un prospectus touristique qui m'apprend que le rivage de Fisterra, tout à l'ouest, à deux ou trois jours de Santiago, porte un nom particulier.

 

Ce nom, c'est Costa da Morte.

 

 

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11 juin 2010 5 11 /06 /juin /2010 10:11

Récit - Santiago de Compostela – Santa Marina

Env. 44 km

 

Il y en a qui ont fait la fête hier, et qui ont de la peine à émerger !

Quand nous traversons la ville sainte, elle est déserte, comme morte. Sauf au perron de la Faculté de Géographie et d'Histoire où un pèlerin, dans son sac de couchage, rêve qu'il marche sur des étoiles... Un autre termine sa nuit de sommeil hors de la ville, au pied du dernier mur. Il songe qu'il vole sur une coquille dans un nuage de fumées d'encens lumineuses... Dans les bois des faubourgs, des étudiants sortent lentement de leur bivouac. L'un d'entre eux gratte une guitare...

 IMG_5054pommes-BIS-.jpg

 

Comme j'aime les nouveaux départs ! Celui-ci a un enjeu :  la plupart des pèlerins qui continuent arrivent à l'océan en trois jours. Je dois mettre un jour de moins à cause d'obligations. Serai-je à la hauteur ?

 

Mes deux amies m'ont raccompagné un bout de chemin. Elles feront le reste en autocar mais aussi à pied. Hier un peuple croissant convergeait vers le sanctuaire, la foule noircissait les rues de la ville. Aujourd'hui j'ai l'impression de revenir aux tout premiers jours. Nature, solitude et silence, tout ce qu'il faut pour réfléchir encore, trouver une suite à tous ces pas. Méditer régulièrement, c'est sûr, mais comment s'y tenir ? Justement je réfléchis à un graffiti en castillan approximatif et en majuscules écrit au bord de la route par un anonyme:

 

"NO ES LA FIN DE TU CAMINO

ES L'INICIO DE TU DESTINO"

 

Il est une heure de l'après-midi quand je recopie ces deux lignes après Negreira. En attendant que mon destin commence, je fais une longue pose. Trois heures plus tard je redémarre tout doucement.

 

Plus personne sur le chemin. La chaleur est telle que de temps en temps je baigne mon t-shirt et mon chapeau de toile dans une rigole ou une fontaine et je les remets. Fraîcheur garantie ! Par deux fois je me trempe les pieds dans un ruisseau. Je ne prends pas la précaution de bien me les essuyer avant de remettre mes chaussures, il faut repartir. Grossière erreur...

 

Le paysage est ondulé, champs de maïs, bois de chênes, plantations d'eucalyptus. En haut des collines, les éoliennes font leur manège vertical... Petits ruisseaux, vergers, champs d'herbe fraîchement coupée. Tentation de dormir encore à la belle étoile, pour le plaisir cette fois-ci...

 

Les pieds me font mal. Finalement j'arrive à un village et m'approche d'un bar qui fait hébergement. Il semble qu'il n'y ait personne à l'intérieur du café. J'entre, je tourne la tête, et j'ai une vision de far-west : une tablée d'une douzaine de personnes, aux traits accentués par le hâle, en train de manger dans un silence total, qui m'observent. Pas un mot, pas un échange de conversation. Des pèlerins tellement épuisés !

 

- Ne vous inquiétez pas, il reste de la place, finit par me dire l'une d'entre eux...

 

Au moment de la douche je constate les dégâts : j'ai marché soixante-douze jours sans aucune blessure et, la veille de l'arrivée, je me découvre une belle ampoule à chaque pied ! Il ne faut jurer de rien... Moi aussi je suis trop fatigué pour être impressionné et je me soigne sans réfléchir.

 

Au coucher, je me demande toutefois si j'arriverai à poursuivre jusqu'à demain soir.

 

Mes pieds abîmés ont 45 km à parcourir avant Fisterra ...

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2 juin 2010 3 02 /06 /juin /2010 16:36

Récit - Santa Marina - Fisterra

45 km

 

Aujourd'hui 15 août, le soleil tarde à se lever.

Soit la saison avance, soit nous sommes très à l'ouest...

et si c'était les deux ?

 

DERNIER-JOUR-PAZ-AMOR-BIS.jpg

 

Je me glisse furtivement sur la route avant l'aurore. Ma peau traverse des vagues de fraîcheur et de chaleur. Comme l'eau d'un courant qui te glace un instant puis d'un coup

te redonne la température souhaitée. De nuit les sons

et leur résonance changent, aboiements, bruits de ruminants

dans les étables. Chaînes, sabots, souffles, silences. Dans l'obscurité, le parfum du chèvrefeuille invisible ressemble

à celui du lis. Les sensations de moiteur sont à proximité

des maisons. Elles ont emmagasiné la chaleur.

Et les vaches maintiennent la température.

 

Enfin vient le jour et, de montées en descentes

dans la lumière et l'air qui s'échauffe, je me trouve au milieu

de nulle part. Le corps avance comme un automate.

Il a l'entraînement. Quant à l'esprit... Je suis sur le chemin

de la Fin de la Terre, ça c'est sûr, mais j'ai perdu les notions

de temps, de distance, d'altitude. Ces précisions

ont-elles encore de l'importance ? L'arrivée à Saint Jacques

et le Chemin de Compostelle ne m'ont pas donné toutes

les réponses aux questions que je me posais. Pourtant

ce qui manquait ce n'était ni le temps pour réfléchir,

ni les gestes de générosité, ni les leçons de vie,

ni les partages, ni les regards, ni les signes...

et pas seulement en forme de flèche jaune !

 

Qu'est-ce qui manque ? En saurai-je plus quand j'arriverai

ce soir, tout au bout de la terre ?

 

Du sommet d'une colline aux airs de montagne, l'horizon semble bouché par une barrière de nuages, là-bas, devant,

au loin, à l'ouest. L'imagination galope elle aussi

et je me convainc que la pluie approche, qu'il faudra arriver vite.

 

Landes, forêts, caillasses, bocages, maisons rares, rien

du paysage changeant n'est certain. Une seule évidence :

je dois marcher, marcher, marcher, il faut finir. Et je sais

que c'est possible. Le premier pèlerin que j'ai rencontré

le premier jour de mon premier départ, je sais qu'il l'a fait.

 

Le paysage est de plus en plus sauvage. Après Olveiroa,

la route pierreuse serpente à travers les Monts Buxantes

et domine le rio Xallas qui gronde  à gauche, des centaines

de mètres en contrebas. Au creux d'un vallon, j'arrive

à ce qui était autrefois un village. Il fait très doux l'hiver ici. Dans la fournaise de midi, j'ai peine à croire que l'église

qui se dresse encore est dédiée à Nuestra Senora

de las Nieves, Notre Dame des Neiges.

 

Plus loin, je rattrape un jeune Néerlandais. Il semble ailleurs, pas malheureux, mais absent. Il marche de son pays depuis 4 mois, il a pris son temps. D'émotion, je lui serre

la main pour le féliciter. Ses yeux hagards

deviennent ahuris !

 

Le pays est comme mon esprit, sens dessus-dessous. A San Pedro, nous sommes très près du sommet de la montagne-colline, et voici que jaillit, des deux tuyaux d'une fontaine, l'eau la plus pure, la plus fraîche que j'aie jamais goûtée !

 

- Comment se fait-il qu'il y ait une source ici,

   à cette hauteur ?

 

Personne n'a la réponse, ni les deux Espagnoles qui passaient par là, ni le Hollandais qui ne se pose pas les mêmes questions et continue sa route.

 

Par endroits, la montagne-colline a des traces d'incendies

des années passées, ailleurs il reste encore des eucalyptus debout et leurs feuillages pendent en lambeaux.

 

DESCENTE-SUR-CEE-BIS.JPG

 

Puis c'est la descente vers la mer.

 

Une allure de riviéra, dans une région où, normalement,

il fait un temps de chien. La menace de pluie n'était

qu'une brume de beau temps flottant au-dessus de l'océan...

 

Sur la côte, ce que j'ai vu et entendu, finalement,

n'a pas d'importance. Un bord de mer, un jour de fête,

l'été, en Espagne.

 

LA-PETITE-CRIQUE-BIS.jpg

 

Tu te souviens que je voulais aller dans la mer, complètement, ne serait-ce que 3 secondes ?

 

Impossible. L'eau est trop froide ! Ce n'est pas faute d'avoir essayé, et de sautiller sur l'air du "J'y vais-j'y vais pas?".

Une question : A Bénarès, quelle est la température

du Gange ?

 

Toute la journée les pieds me font mal, ce qui n'est guère étonnant, mais les ampoules, soignées au fil et à l'aiguille, n'ont pas empiré.

 

Ce soir, c'est la fin du périple, je retrouve mes amies

qui ont fait une partie de la route en car et je procède

à une cérémonie plus facile en apparence, ce sera...

le dernier rituel.

 

 

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22 mai 2010 6 22 /05 /mai /2010 18:59

Récit - Les chaussures ? Pas question !

Le nombre de fois que je les ai lacées... j'y suis bien trop attaché !

 

BRULER SES VETEMENTS BIS

  

Lorsque j'ai annoncé aux deux amies venues m'accompagner la dernière semaine que je voulais brûler mes vêtements à Fisterra, elles marquèrent un temps d'arrêt. Et puis j'ai vu qu'elles en acceptaient l'idée.

Bien plus : elles m'aideraient à le faire.

 

Elles participeraient ainsi, à leur manière, à ce rituel. Un rituel que j'étais prêt à partager.

 

Il ne s'agit pas seulement de faire flamber Monsieur Carnaval quand les festivités sont finies. Le feu

a la réputation de purifier. C'est aussi un symbole de vie, d'ardeur. J'ai plutôt vécu ce petit bûcher comme

une extermination, une destruction complète. Réduire quelque chose en cendres, c'est s'assurer que rien, vraiment rien, n'en restera.

 

Nous avons attendu la nuit et l'après-dîner pour mettre

le plan à exécution. Un endroit sur le vieux port a été choisi. Bien au milieu de la petite plage. Un peu au vu et au su

de qui passerait par là. Bah ! le quartier est calme,

et ils doivent bien être habitués, depuis les siècles,

les millénaires, que cela se fait !

 

Nuit noire. Seuls quelques réverbères diffusent un halo

de lumière. Le vieux t-shirt gris usé, le pantalon déformé

par toutes ces enjambées, posés sur du papier

et un peu de varech résistent un temps. Le feu a du mal

à prendre et moi j'ai du mal à persister. Sentiment mitigé...au-delà de ces oripeaux, j'ai l'impression d'immoler quelque chose d'autre. Autour des flammes et autour

de nous on aperçoit les insectes rampants sortis du sable

qui grouillent sur nos pieds nus. Finalement tout 

se consume dans une fumée noirâtre.

 

Cette nuit-là j'ai fait le songe que je ne pouvais pas être tranquille, quelqu'un était toujours là, devant moi,

à me surveiller. Pas tout à fait un cauchemar, vraiment

pas un doux rêve.

 

Le lendemain, j'ai regardé attentivement le lieu du sacrifice : Est-ce la marée ? Est-ce le vent de la nuit

qui a tout emporté ?

 

Je n'ai retrouvé aucune trace.

 

 

Il paraît qu'il faut attendre 6 mois pour savoir

à quoi ressemble l'homme nouveau.


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