Récit Triacastela - Sarria - Barbadelo
23 km
Pensée pour Prévert Photo J F F
Tout ce petit monde, qui a dormi au gymnase, se retrouve sur le chemin. Une femme m'avoue s'ennuyer et me fait un brin de causette pour se distraire en marchant. C'est la mère d'un des cent-vingt élèves provenant de différents collèges d'Espagne. Résultat : Une cohorte de sacs à dos ornés des matelas de mousse bleus (pourquoi sont-ils toujours bleus ?) qui se dandinent, en cadence, dans les chemins creux.
Des chemins creux bien bouseux. Qui dit bouses, dit mouches. A Sarria la marchande de piles assène un mortel coup de tapette à une colonie installée sur son comptoir avant de me rendre mon bonjour.
Les collines sont couvertes de haies, de prés et de bois. C'est un bocage "moucheté" de lumière quand par endroits, le soleil arrive à percer le ciel gris. Ici, pas d'horreo (tu verras plus loin ce que c'est). Les fermes ont de beaux toits. Les ardoises épaisses et noires s'entrecroisent pour en former le faîte.
Le pays est humide. Chemin et ruisseau ne font qu'un. Les galiciens ont résolu le problème en créant des correidoiras. Ce sont des pierres énormes, en longueur, espacées, qu'il faut sauter pour passer à gué.
J'admire tranquillement un de ces fonds de vallons dans une forêt de chênes centenaires quand arrive un pèlerin, bondissant comme un lutin, suivi d'un autre.
C'est Frédéric, mon compère d'hier. Un mot sympa à mon adresse et en trois secondes il est au sommet de la côte. Il se retourne et encourage l'autre :
- "Come on ! Pain is temporary, cry is eternal !" (Allons, la souffrance est provisoire, les pleurs sont éternels !)
A tout prendre, j'aimerais mieux la souffrance, ou ne pas choisir du tout !
La magie du chemin, sensiblement, est en train d'opérer. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je m'interroge sur les motivations des gens dans la société hors Chemin. Vacarme des informations nationales et internationales, course à la consommation, harcèlement publicitaire, auxquels j'échappe en ce moment. En se tenant éloigné, pas à pas, on perçoit mieux les mécanismes sombres de notre société. Agitation suscitée par nos congénères, avides de pouvoir ou fascinés par l'appât du gain... Mensonges, paillettes, communication tous azimuts, promesses, milliards, tromperies, parades et apparences, revenus...
Oui, c'est simple finalement, la plupart des humains courent après les biens matériels ou le pouvoir. Souvent les deux à la fois.
"Pendant ce temps, dirait notre ami Michel, le pèlerin marche".
Poussé par un appel, un besoin d'élévation , d'absolu, vers une quête, une troisième voie, mystique celle-ci, à la recherche de soi, de l'autre, et du fond des choses... mais je cause, je cause, il va falloir penser à dormir ce soir !
Autoportrait Photo J F F
Le refuge de Barbadelo est complet. J'ai déjà repéré, vingt mètres plus bas, une structure en béton ouverte aux quatre vents, vide. Dans un coin : une litière de foin et de menthe sauvage. Un parfum de crèche de luxe.