Récit - Santa Marina - Fisterra
45 km
Aujourd'hui 15 août, le soleil tarde à se lever.
Soit la saison avance, soit nous sommes très à l'ouest...
et si c'était les deux ?
Je me glisse furtivement sur la route avant l'aurore. Ma peau traverse des vagues de fraîcheur et de chaleur. Comme l'eau d'un courant qui te glace un instant puis d'un coup
te redonne la température souhaitée. De nuit les sons
et leur résonance changent, aboiements, bruits de ruminants
dans les étables. Chaînes, sabots, souffles, silences. Dans l'obscurité, le parfum du chèvrefeuille invisible ressemble
à celui du lis. Les sensations de moiteur sont à proximité
des maisons. Elles ont emmagasiné la chaleur.
Et les vaches maintiennent la température.
Enfin vient le jour et, de montées en descentes
dans la lumière et l'air qui s'échauffe, je me trouve au milieu
de nulle part. Le corps avance comme un automate.
Il a l'entraînement. Quant à l'esprit... Je suis sur le chemin
de la Fin de la Terre, ça c'est sûr, mais j'ai perdu les notions
de temps, de distance, d'altitude. Ces précisions
ont-elles encore de l'importance ? L'arrivée à Saint Jacques
et le Chemin de Compostelle ne m'ont pas donné toutes
les réponses aux questions que je me posais. Pourtant
ce qui manquait ce n'était ni le temps pour réfléchir,
ni les gestes de générosité, ni les leçons de vie,
ni les partages, ni les regards, ni les signes...
et pas seulement en forme de flèche jaune !
Qu'est-ce qui manque ? En saurai-je plus quand j'arriverai
ce soir, tout au bout de la terre ?
Du sommet d'une colline aux airs de montagne, l'horizon semble bouché par une barrière de nuages, là-bas, devant,
au loin, à l'ouest. L'imagination galope elle aussi
et je me convainc que la pluie approche, qu'il faudra arriver vite.
Landes, forêts, caillasses, bocages, maisons rares, rien
du paysage changeant n'est certain. Une seule évidence :
je dois marcher, marcher, marcher, il faut finir. Et je sais
que c'est possible. Le premier pèlerin que j'ai rencontré
le premier jour de mon premier départ, je sais qu'il l'a fait.
Le paysage est de plus en plus sauvage. Après Olveiroa,
la route pierreuse serpente à travers les Monts Buxantes
et domine le rio Xallas qui gronde à gauche, des centaines
de mètres en contrebas. Au creux d'un vallon, j'arrive
à ce qui était autrefois un village. Il fait très doux l'hiver ici. Dans la fournaise de midi, j'ai peine à croire que l'église
qui se dresse encore est dédiée à Nuestra Senora
de las Nieves, Notre Dame des Neiges.
Plus loin, je rattrape un jeune Néerlandais. Il semble ailleurs, pas malheureux, mais absent. Il marche de son pays depuis 4 mois, il a pris son temps. D'émotion, je lui serre
la main pour le féliciter. Ses yeux hagards
deviennent ahuris !
Le pays est comme mon esprit, sens dessus-dessous. A San Pedro, nous sommes très près du sommet de la montagne-colline, et voici que jaillit, des deux tuyaux d'une fontaine, l'eau la plus pure, la plus fraîche que j'aie jamais goûtée !
- Comment se fait-il qu'il y ait une source ici,
à cette hauteur ?
Personne n'a la réponse, ni les deux Espagnoles qui passaient par là, ni le Hollandais qui ne se pose pas les mêmes questions et continue sa route.
Par endroits, la montagne-colline a des traces d'incendies
des années passées, ailleurs il reste encore des eucalyptus debout et leurs feuillages pendent en lambeaux.
Puis c'est la descente vers la mer.
Une allure de riviéra, dans une région où, normalement,
il fait un temps de chien. La menace de pluie n'était
qu'une brume de beau temps flottant au-dessus de l'océan...
Sur la côte, ce que j'ai vu et entendu, finalement,
n'a pas d'importance. Un bord de mer, un jour de fête,
l'été, en Espagne.
Tu te souviens que je voulais aller dans la mer, complètement, ne serait-ce que 3 secondes ?
Impossible. L'eau est trop froide ! Ce n'est pas faute d'avoir essayé, et de sautiller sur l'air du "J'y vais-j'y vais pas?".
Une question : A Bénarès, quelle est la température
du Gange ?
Toute la journée les pieds me font mal, ce qui n'est guère étonnant, mais les ampoules, soignées au fil et à l'aiguille, n'ont pas empiré.
Ce soir, c'est la fin du périple, je retrouve mes amies
qui ont fait une partie de la route en car et je procède
à une cérémonie plus facile en apparence, ce sera...