Récit Leon – Hospital de Orbigo
36 km
Pour un monde nouveau Photo J F F
Un grand type très maigre, blanc comme un linge sauf le nez, rouge de soleil, le crâne rasé, est étendu sur le dallage. Pas beau à voir. Sept personnes l'entourent. L'une d'entre elles lui tient les pieds levés en l'air.
Les pèlerins qui ont assisté à la bénédiction sortent de la chapelle en masse et passent, intrigués, en regardant le grand maigre qui reprend ses esprits. Ses sauveteurs sont inquiets.
- How are you ? me demande l'un d'entre eux, au moment où j'entr'ouvre un oeil.
Un bonne âme me tend du sucre qu'elle a dans son sac et un verre d'eau.
- I feel better... thank you ...
Il y a comme un deuxième malaise quand, penaud, je me relève et, évitant les regards et les questions, me rends doucement vers le dortoir où je m'endors à nouveau, cette fois-ci dans un vrai sommeil.
Le lendemain, je suis encore perplexe sur ce qui m'est arrivé. Mon voisin de lavabo, un crâne rasé aussi, et lisse comme le caillou que je garde au fond de mon sac, s'occupe de sa barbe. Il a envie de parler :
- Where are you from ?
Très vite on passe au français, il est belge.
- Vous savez, moi, je profite de mes grandes vacances – je suis professeur de théologie et religion – pour faire le Camino. Je veux résoudre mes problèmes.
- Ah bon ?
- J'ai trois problèmes : je bois trop, je fume trop, et je ne trouve pas de femme.
- Ah ?
- Oui, vous avez dû vous en rendre compte, sur le chemin, on a le temps de réfléchir.
- Bien vrai !
- Alors j'ai compris que si j'avais ces trois problèmes, c'était parce que je ne m'aimais pas.
Comme je ne m'aimais pas, je faisais de l'autodestruction.
- Ah d'accord...
(Comment ponctuer avec un autodestructeur ?)
- Déjà j'ai pu m'arrêter de fumer. Et je bois moins de bière, du coup, j'ai perdu un peu de mon ventre...
Avant de quitter la ville de Léon, je passe au Musée du Couvent San Marcos. Dans une belle pierre blonde, volutes, corniches et coquilles accrochent le regard à chaque instant.
Le Paramo après Leon n'est plus tout à fait la Meseta : avec l'irrigation, on y cultive tournesol et maïs. Le gouglou des ruisseaux et des canaux se fait entendre. Au bord du chemin le fenouil sauvage sèche ses ombelles en diffusant son parfum un peu oriental...
Marcher à reculons permet de se reposer, tout en avançant. Je le fais de temps en temps. C'est ainsi que je vois venir un cycliste fringant, tenue sportive impeccable. Il en profite pour faire une petite pause :
- D'où je viens, moi ? De Rotterdam, et je roule depuis la Gare du Nord, à Paris. C'est un voyage, que je fais, hein, pas un pèlerinage, je ne suis pas croyant.
On continue, lui à vélo, moi à pied.
- Mais qu'est-ce que c'est intéressant ! Tenez, par exemple, cette église près de Saint-Emilion, comment s'appelle-t-elle déjà ? Ah, je ne sais plus... Passée la frontière, ce que j'apprécie le plus, ce sont les peintures dans les églises espagnoles...On y voit l'influence flamande, et moi, ça me parle ! Bon, allez, je continue, au revoir ! Bon courage !
Un orage me surprend juste avant le pigeonnier de Vilar de Mazarife. Le vent, les trombes d'eau, c'est déjà impressionnant. Quand un éclair lézarde le ciel non loin de moi et fait un vacarme d'enfer, ma détermination fléchit. Quelle stratégie adopter si la foudre s'approche encore ? Ne pas se réfugier sous un arbre, d'ailleurs il n'y en a pas. Tu me vois, vautré à plat ventre dans la boue, enveloppé par ma cape écarlate, priant que l'électricité du ciel veuille bien frapper un point plus élevé que moi ?
Heureusement le nuage passe.
Dans le gros bourg, une jeune pèlerine blonde d'allure fragile me demande de l'aider à entrer dans le café. Elle n'ose pas, il n'y a que des hommes !
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Cafés de campagne Dessin et couleurs par Judith Vanistendael & Photo J F F
Les trombes d'eau dégringolent à nouveau. Nous sommes bloqués dans le bistrot où les habitués jouent au domino. En attendant de pouvoir ouvrir l'église St Jacques à côté, le bedeau est le plus audacieux. Il engage la conversation et après maints signes d'approche, arrivera dans un certain geste de... sympathie, à toucher l'épaule de ma protégée...
Grand lit, petite rivière Photo J F F
Plus loin, Hospital de Orbigo remplit ses promesses. Le pont roman aux 20 arches offre un décor digne de l'histoire du vrai Don Quichotte. Le chevalier y avait combattu, des heures durant, en l'honneur d'une dame...
Il fait bon s'arrêter au refuge de la Paroisse. Plus que 16 km avant Astorga, où je me réjouis de visiter le palais épiscopal construit par le maître catalan de l'art Nouveau, Gaudi.