Se mettre en marche
“Marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos sillons”.
Tous les Français ou presque connaissent cette invitation marseillaise à la marche et au massacre. Le chant révolutionnaire est antérieur de 40 ans à l’exécution du chef-d’œuvre romantique. Le sang impur, tu le sais, n’est pas celui d’une hypothétique race inférieure, mais celui de l’oppresseur, du monarque absolu, et de ceux qui le soutiennent. Le premier mot est répété, à l’impératif.
Rebecca Solnit, en son temps, avait démontré le rapport entre l’art de marcher et, au minimum, la revendication collective (1).
Un autre hymne révolutionnaire invite à la marche. Le Chant des partisans, écrit par Joseph Kessel et Maurice Druon sur une musique d’Anna Marly, invite à se mettre en marche :
“Montez de la mine, descendez des collines...” A la fin de la troisième strophe, avant “le sang noir sur nos routes”, je lis ou plutôt je chante :
“Ici, nous, vois-tu, nous on marche, nous on tue, ou on crève.”
Je suis persuadé que jusqu’en 2019 bon nombre de pèlerins cheminaient vers Compostelle pour crier, inconsciemment, à qui voulait entendre, la désincarnation de la vie quotidienne, les insuffisances, les errements, les injustices et les contradictions du monde.
Efforts vains. Un autre monde a basculé, ou pas. Ce ne serait pas étonnant que, face à des enjeux démesurés, bientôt les foules, qu’elles le veuillent ou non, pour revendiquer, pour fuir ou pour construire une autre société, se mettent en marche.
(1) L’art de marcher Ed. Babel