Aujourd’hui et hier, passé, présent et avenir
Jusqu’à la fin de 2019, la fréquentation du Chemin de Compostelle augmentait de 10 % chaque année. Pourquoi ces gens se jetaient-ils sur les routes ? Quelques discussions avec pèlerins et pèlerines suffisent pour s’en rendre compte : besoin de réfléchir à son avenir ou dépasser un stade de sa vie pour quelques-uns, voeux exaucés, souffrances, maladies, deuils, séparations, enfances malheureuses pour la plupart. Nous partions pour un problème ou pour plusieurs. Ce sont les fameuses causes perdues de Manon Moreau. Quand nous n’avions pas conscience de notre raison de partir, la marche au long cours se faisait un plaisir de nous la révéler.
Depuis quelque temps un grand nombre de marcheurs souffraient du burnout ou du chômage. Une crise qui n’en finit pas, comme si elle se nourrissait d’elle-même. Une interminable machine à faire du malheur qui n’est plus une crise.
Pour s’en guérir, il fallait quitter le tourbillon fou de la vie quelques jours, quelques semaines ou quelques mois.
Justement.
Là où je veux en venir, c’est que justement le monde dans lequel nous vivions n’était pas en mesure de donner les réponses à nos questionnements sans qu’on le quitte. Cette vie harcelante, irréfléchie, épuisante, était vaine, implacable et impitoyable. Travailler pour acheter, consommer pour être, la stérilité de l’existence. Le cadre familial, professionnel, sociétal ou religieux n’apportait pas de solution suffisante. Rien pour la résilience.
Alors il fallait partir, s’isoler, retrouver la nature, rencontrer de nouveaux visages, et avec ses pieds parcourir de nouveaux paysages, mais aussi user de la liberté. Une immense liberté. Et le Chemin a montré que la thérapie fonctionne !
On sait comment est le monde aujourd’hui. Nous sommes assignés à résidence, bombardés de messages de peur. Intimés par des injonctions. Soumis à des manoeuvres coercitives, à des informations contradictoires et à des images étudiées dans le moindre détail pour effrayer. Pour nous embarquer vers quel univers ? Paralysés par des décisions incohérentes en apparence, ceux qui ont le moins de temps, le moins d’expérience, ou le moins de curiosité sont dans un état de sidération.
Le désir de Chemin se fait plus fort, encore plus fort. Comme un besoin vital, comme une nécessité de survie. Mais le Chemin nous est interdit. Pour un mois, un trimestre, un an ? Il ne nous est pas donné de le savoir.
Je suis persuadé que ce Chemin de lumière ne nous sera rouvert qu’à l’issue d’une autre route. Un parcours fait de batailles rudes, gagnées à la suite d’engagements concrets, à commencer par la réinformation. Nous ne sommes pas seuls : la nature, le destin et quelques honnêtes gens ont compromis la réussite totale des empêcheurs de marcher. C’est par le combat pour la vérité qu’on s’en sortira.
La marche au long cours sera ensuite une récompense, une respiration, un gain durement arraché aux circonstances.
Une fois la tempête évitée, peut-être même que le monde nouveau sera plus humain, plus vrai, plus solidaire. On peut l’espérer. Restons ensemble, faisons cause commune, il y a beaucoup à découvrir et à réinventer.
La liberté aura un goût de victoire.