Un conte : L'errant
Je l’ai rencontré au croisement, un homme qui n’avait rien d’autre qu’une cape, une canne et un voile de peine sur son visage. Nous nous sommes salués, et je lui ai dit : “Viens à la maison et sois mon hôte !”
Et il est venu.
Mon épouse et mes enfants nous ont accueillis au seuil de la maison ; il leur a souri, et ils furent épris de son arrivée.
Nous nous sommes tous attablés et nous étions heureux qu’il soit des nôtres, car il y avait un silence et un mystère en lui.
Après le dîner nous nous sommes rassemblés près du feu, et je l’ai interrogé sur ses errances.
Il nous raconta plus d’un conte ce soir-là et le lendemain aussi, mais ce que je décris maintenant confirme l’amertume de ses jours bien que lui-même fût doux, et ses contes sont de la poussière et de la patience de sa route.
Quand il nous a quittés trois jours plus tard, nous n’avons pas senti qu’un hôte était parti, mais plutôt qu’un de nous était toujours dans le jardin et n’était pas encore rentré.
The Wanderer, New York, 1932 Oeuvre posthume
Enfants du prophète, Al Bouraq Editions
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Khalil Gibran