Un phénomène lemmings ?
Cloyes sur le Loir (prononcer cloi) est une belle étape sur le Chemin de Compostelle, entre Châteaudun et Vendôme, au sud-est de Paris (voir carte en bas d'article). Le pèlerin d'aujourd'hui s'y interroge sur une histoire incroyable mais vraie qui, justement, a commencé là.
"C'est encore un bien charmant village que celui de Cloyes, autrefois l'une des petites cités du Vendômois ; un lieu de villégiature enchanteur planté au coeur d'une vallée où la beauté naturelle et la variété du paysage sont encore accentuées par le passage du Loir, une belle rivière dont les caprices rythment la vie calme des paysans de cette parcelle de Beauce.
Au XIIIème siècle, époque à laquelle va nous entraîner cette histoire, la petite ville de Cloyes était l'un des points de passage obligés pour le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle, par la route dite via turonensis (...) Ils faisaient volontiers halte, sur leur long chemin, en cette petite ville où le Loir, poissonneux à souhait, offrait toutes les ressources naturelles à ceux qui vivaient en perpétuel carême. Tout autour de la belle église de Cloyes sur le Loir, ce n'était toute l'année qu'arrivées et départs de pèlerins, et les habitants de la petite cité, lovée dans sa riante vallée, avaient vite appris à vivre du commerce que leur offrait cette manne de voyageurs perpétuellement renouvelée." *
L'histoire est moins riante : de tous les orphelins du village, Etienne s'était fait berger. Dehors par tous les temps, les gardiens de troupeaux ont toujours eu un rôle à part dans la société, et une relation charnelle avec les forces de la nature et les puissances cosmiques.
En 1212, Etienne a moins de 15 ans. Vient à lui un pèlerin isolé qui prétend être le Christ lui-même, et qui lui remet une lettre destinée au roi de France Philippe-Auguste. L'adolescent ne sait pas lire, mais il sait parler. Se croyant investi d'une mission divine, il raconte l'histoire sur la place du village. Doué d'un charisme exceptionnel, il prend vite de l'ascendant sur les adultes qui sont émus, comme sur les enfants qui le suivent.
De harangues en prophéties, de visions en promesses, il use de son don de persuasion et du besoin d'espoir chez les enfants, il les invite à partir avec lui jusqu'en Orient pour libérer la Terre Sainte. Le plus incroyable, c'est que tous ces enfants se mettent en route, et qu'ils constituent une petite armée. En chemin les dévots assurent leur subsistance.
Après un tour dans le nord de la France, ils arrivent à St Denis, et Etienne remet la lettre à Philippe-Auguste. Qui leur recommande de rentrer chez eux.
Tout au contraire ils "descendent" vers le sud avec pour idée d'embarquer à Marseille et reconquérir les Lieux Saints, vu que les eaux de la Méditerranée s'ouvriraient sur leur passage, comme elles le firent, c'est certain, en Mer Rouge devant Moïse et son peuple... Entre-temps, la troupe a grossi pour atteindre le chiffre estimé à 30 000 gamins !
Le miracle ne se fait pas, des marins les embarquent. Ou plutôt des passeurs malhonnêtes, voilà qui nous ramène à aujourd'hui, n'est-ce pas ? Les enfants qui ne meurent pas en mer, de faim ou noyés, finiront comme esclaves, vendus en terre étrangère.
L'historien Didier Audinot attribue le phénomène à la forte mortalité d'adultes au Moyen-Age, laissant un grand nombre d'enfants livrés à eux-mêmes, à la mystérieuse puissance du charisme et à la présence des pèlerins de Compostelle.
Le plus étrange dans cette histoire c'est qu'à la même époque, un peu partout en Europe, de telles aventures collectives chez les enfants et les jeunes eurent lieu. Quel est ce phénomène ? S'agirait-il d'une sorte de suicide de masse ?
*Didier Audinot, Histoires incroyables de l'Histoire de France, Editions Grancher